LA STUD

Oliver Whitehouse et le Hip hop mondial à travers son objectif

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Il est le fondateur de Sektion Red en 2012, une plateforme qui produit et diffuse des clips d’artistes établis et underground (+ de 300 morceaux clippés et 40 000 abonnées sur YouTube). De la Gambie aux Etats-Unis en passant par la Bulgarie, Oliver Whitehouse parcourt le monde entier avec sa caméra pour y capter l’environnement des rappeurs pour qui il tourne. J’ai donc posé quelques questions à cet envoyé très spécial du Hip hop…

Raconte nous tes débuts avec Sektion Red… Comment as-tu lancé la chaîne YouTube, comment as-tu obtenu les premiers contacts des artistes pour qui tu as tournés…
J’ai organisé une fête à Newcastle, une ville incroyable du nord-est de l’Angleterre où je vivais à l’époque. Dix des meilleurs artistes de la ville se sont produits, nous avons offert une belle paire de Jordan dans le cadre d’une tombola, nous avons bu des Red Stripe et vendu des chaussettes rouges. Peu de temps après, j’ai balancé un clip avec Shystie, une emcee chevronnée de la scène britannique et des vidéos exclusives avec Chali 2Na et Boldy James des États-Unis. Je filmais depuis quelques années déjà avant de commencer Sektion Red et j’avais déjà de bons contacts.
Si tu devais résumer l’identité de Sektion Red en 3 mots, qu’est-ce que tu dirais ?
Ah je n’aime pas vraiment définir ce qu’est Sektion Red, parce que ce que la vision que j’ai de Sektion Red peut être très différent de celle de quelqu’un d’autre. Mais les fondations sont basées sur mes goûts et ce que j’aime, je les exprime de la manière que je souhaite en tant que fan, que ce soit une vidéo, un vêtement ou un album. Ainsi j’ai rassemblé un public qui a des goûts similaires aux miens. L’élément principal pour moi, c’est de faire ça et de continuer à grandir. De m’en tenir à ce que j’aime.
Fin 2018 The Red Album a vu le jour. Dessus figurent des rappeurs de 15 pays différents : Hongrie, Pays-Bas, Espagne, Grèce, Norvège… Tous les morceaux ont été clippés dans les pays des artistes, c’est une première mondiale non ?
Pour autant que je sache, cela n’a jamais été fait auparavant. Pas jusqu’au niveau où je l’ai amené pour l’album. Des collaborations internationales ont été faites auparavant bien sûr mais jamais en combinant 15 pays différents sur un même album avec une vidéo pour chaque morceau.
On connaît ton amour pour la scène hip hop en Grèce, à quelles autres scènes es-tu attaché ? A part à celle d’Angleterre bien évidemment…
Haha oui, j’ai tendance à évoquer la scène hip hop grecque dans la plupart des interviews. Qu’on me pose des questions à ce sujet ou non. Il est vrai que c’est mon endroit préférés pour le hip hop en ce moment. Mais ils ont également été l’un des pays les plus attirés par Sektion Red. Je pense qu’ils ont été très rapides à comprendre et à apprécier, et j’en suis très reconnaissant. C’est un sentiment formidable en tant qu’artiste quand votre travail est apprécié. Ma mère vient de Norvège et j’ai passé beaucoup de temps là-bas, donc naturellement j’ai un lien avec les gens là-bas, un lien de vikings. Mais partout où j’ai voyagé, j’ai trouvé de grands… et d’horribles emcee !
Les 2 premiers concerts que Sektion Red a organisé étaient en Grèce d’ailleurs. L’un à Salonika le 25 octobre dernier et l’autre à Athènes le lendemain. Comme invités, on pouvait retrouver des noms familiers comme Sadomas, Logos Apeilh, Habitus, Res One & Datkid… Comment tu t’y es pris pour mettre en place ces événements et comptes-tu renouveler l’expérience ?
Oui, c’était les premiers de ce qui pourrait être des concerts plus internationaux. J’ai contacté tous les artistes que je voulais voir rapper, j’ai trié les oeuvres avec l’aide de mon amie Si Smithson et j’ai ensuite demandé à Johnny de réserver les salles et de s’assurer que nous avions tout le matériel nécessaire. Mais j’ai un très bon groupe d’amis en Grèce qui m’a aidé le jour même dans les deux villes. Ils ont fait passer le mot à l’avance, je n’ai pas fait ça tout seul. Il est tout à fait possible qu’il y ait d’autres concerts de Sektion Red à l’avenir, bien qu’il semble peu probable que cela se produise de sitôt avec la pandémie actuelle !
A l’occasion du Hip Hop Kemp 2019, tu as pu interviewé des légendes comme A.G de D.I.T.C, R.A the Rugged Man, Immortal Technique… Que retiens-tu de ces rencontres ?
Je regardais Evidence tout déchirer sur la scène principale, en interprétant des morceaux de Weather or Not, qui était mon album préféré de l’année. Après 4 sons joués, l’attaché de presse du HHK s’est précipité et a dit que nous avions le temps d’interviewer Immortal Technique et que cela devait se faire maintenant. J’étais heureux mais aussi déçu du timing… L’interview s’est bien passée mais le temps que nous revenions au concert d’Evidence, c’était terminé. Plus tard dans la soirée, j’étais en coulisses et j’ai parlé avec Edo G pendant un moment, au sujet du tournage d’une autre vidéo à Boston, ou ailleurs. Puis je suis retourné sur scène pour voir Fashawn. J’ai vu Evidence qui attendait de faire une rapide apparition surprise et je suis allé devant. J’ai assisté à tout ce spectacle, ce qui a compensé en quelque sorte ce que j’avais manqué plus tôt.
Après avoir tourné aux 4 coins de l’Europe, tu t’es rendu aux Etats-Unis plusieurs fois, en Afrique, et plus récemment en Asie. T’as tout coché niveau continent, il ne te reste plus que l’Océanie non ? Dans quels pays comptes-tu te rendre pour filmer ?
De temps en temps, je reçois des messages de fans de hip-hop au Chili qui me demandent quand Sektion Red va venir filmer. Je sens que la scène doit être assez forte, il faut que j’aille voir par moi-même. Je ne suis jamais allé en Amérique du Sud et ça me plaît vraiment. Pas seulement au Chili mais aussi en Colombie, au Brésil, partout. Pour être honnête, l’Australie n’est pas aussi attrayante en ce moment parce que même si elle est très loin géographiquement, culturellement ça ressemble beaucoup au Royaume-Uni. Je ne suis pas sûr d’avoir beaucoup à apprendre. J’irai un jour, mais ce n’est pas en haut de ma liste pour le moment ! J’ai la possibilité pour aller au Vietnam bientôt, ça va dépendre des restrictions concernant le lockdown !
Y-a-t-il d’autres artistes que tu aimerais voir devant ton objectif ? Et en France ?
Avant, je me fixais des objectifs pour travailler avec des artistes spécifiques, mais ce n’est plus comme ça que j’aborde les choses, je ne pense pas que ce soit la meilleure mesure du succès. Je voulais filmer avec Chali 2Na parce que c’est Jurassic 5 qui m’a fait entrer dans le hip hop et c’était mon artiste préféré dans le groupe, mais j’ai réussi à le faire dès les premiers jours de Sektion Red. Maintenant, je veux juste travailler avec des artistes talentueux qui font de la musique, être capable de rendre justice aux morceaux et d’ajouter à leur art le mien pour créer quelque chose de plus profond et de plus fort que les simples visuels d’accompagnement.
Quels sont le(s) clip(s) dont tu es le plus fier ?
C’est une bonne question, mais je ne sais pas si j’ai une bonne réponse ! Il y en a plusieurs qui marquent la croissance de Sektion Red, la première avec Res et Datkid a été mon premier pas dans le hip hop britannique (avant cela et avant Sektion Red, je n’avais filmé que du rap et de la grime britannique avec des artistes comme Giggs, Wretch 32, Ghetts, Krept & Konan, etc.). La première en Grèce avec Sadomas a été importante, mes premières vidéos avec mon ami Roy et son équipe Kontrollert Kaos en Norvège à un niveau personnel. Je suppose que les vidéos dont je suis le plus fier sont celles du Red Album, parce que j’avais rassemblé les chansons et avait tout suivi depuis sa conception, en choisissant : les producteurs, les beats, les thèmes, les rappeurs, etc. Il y a donc beaucoup plus de ma patte sur l’ensemble de l’album.
Est-ce qu’il t’arrive de tourner pour d’autres sociétés ? Pour des clips qui figurent sur une autre chaîne YouTube que la tienne ?
Avant de lancer Sektion Red, j’ai réalisé des vidéos pour différentes chaînes, une vidéo avec Freddie Gibbs pour le son « Lord Giveth, Lord Taketh Away » produit par Statik Selektah par exemple. Mais aujourd’hui, mes vidéos sont presque exclusivement diffusées par Sektion Red.
Dans mes souvenirs, tu m’as raconté que un mec dans un bar en Estonie a reconnu ton t-shirt avec la fameux carré rouge : tu penses que Sektion Red a atteint un niveau de notoriété mondiale ?
Tu as presque raison, c’était il y a quelques années, un type dans la rue en Lettonie m’a interpellé alors que je portais un t-shirt Sektion Red et que j’étais en train de filmer avec mon ami estonien Utoopia. Cela arrive de temps en temps, mais ça dépend beaucoup de l’endroit où je me trouve. Mon exemple préféré est celui où j’ai fais découvrir du bubble tea à ma fille. Nous sommes allés en acheter pour la première fois après l’avoir récupéré à l’école, la dame qui nous sert a regardé ma casquette et s’est exclamé « Ohhh Sektion Red » et a dit quelque chose de positif sur les vidéos. Ma fille lui a dit très fièrement que Sektion Red était ma société, la dame a essayé de nous donner son propre bon d’achat d’employé pour un bubble tea gratuit mais je voulais payer. Cela signifiait beaucoup que maintenant ma fille savait qu’il y avait vraiment des gens qui regardent ces vidéos que je passe des heures à monter !
Maintenant que ton travail est reconnu par les plus grands, tu prospectes encore ou tu réponds aux demandes des artistes ?
On m’envoie toujours de nouvelles choses et je digg pour trouver de nouveaux artistes talentueux avec lesquels travailler, qu’il s’agisse d’artistes établis ou de new comers.
Peut-on dire qu’à présent Sektion Red n’est plus seulement une plateforme de clips mais bien un label ? Avec cet album dont on vient de parler, le merchandising…
Nous n’avons sorti qu’un seul album et n’avons signé aucun artiste. Ce n’est donc pas un label, et je n’ai pas l’intention d’adapter Sektion Red pour en devenir un. Quand j’ai trouvé le nom de Sektion Red, j’ai pris soin de trouver un nom et une marque qui ne pouvaient pas être renfermé dans une seule case. Beaucoup d’entreprises qui commencent par de la production et de la distribution purement vidéo incluent le mot « TV » dans le nom de leur boîte. Ce qui, je pense, empêche l’expansion dans des domaines comme les films, la musique, les événements, les vêtements, etc.
Comptes-tu, dans le futur, signer des artistes et produire des albums estampillés de ton logo rouge ? J’ai lu dans une interview pour Blackout Hip Hop, un média croate, qu’il serait probable de voir un jour apparaître un Red Album 2.0… Avec une ambition encore plus grande géographiquement…
Un autre album pourrait voir le jour dans le futur, ce que j’ai en tête pour cela demandera beaucoup de travail et il n’y a pas de précipitation. Donc nous verrons, n’attendez rien d’immédiat…
Dans cette interview, tu parles de peut être, dans le futur, écrire un bouquin sur tes innombrables expériences que tu as eu la chance (ou la malchance aha) de vivre. T’aurais une idée du titre ?
C’est ma fille qui m’a donné cette idée et je pense que c’est une bonne idée, peut-être que je dois lui parler du titre et des autres détails. Sektion Red sera entre de bonnes mains un jour si elle décide de l’adopter ! Note : je viens de lui demander pour le titre et elle dit que vous devrez attendre pour en savoir plus !
As-tu une anecdote à nous raconter ? Que ce soit en prenant un avion vers un nouveau pays ou un imprévu sur un tournage…
Ahh il y en a tellement qu’il est difficile de savoir quelle histoire raconter… Presque chaque tournage apporte quelques surprises, la clé est de profiter d’instants incongrus car ils finissent souvent par faire les meilleures scènes et histoires à raconter plus tard. Lors de mon voyage au Japon au début de l’année, j’étais devant un magasin de vêtements à Harajuku. J’ai commencé à parler au gars à côté de moi parce qu’il ressemblait à un hip hop head, il s’est avéré qu’il était un excellent rappeur. Nous avons parlé pendant un moment et deux jours plus tard nous avons fini par filmer un clip, pour une des scènes où nous sommes montés à la Tokyo Skytree, la plus haute tour du monde. Je n’avais pas prévu d’y aller mais la vue était incroyable et les gratte-ciel en dessous paraissaient minuscules. J’ai dégusté un super repas traditionnel avec les gars après le tournage, je me suis fait de bons amis et une vidéo en extra. Et tout cela n’est arrivé que grâce à une conversation aléatoire dans la rue avec un étranger. C’est en fait celle avec LafLife dont tu m’avais parlé avant Max.
Dans une interview pour Guerilla Grooves Radio (New York), tu dis que tu aimerais voir ta fille reprendre les rênes de Sektion Red un jour ou l’autre… Ça me parait tout à fait possible compte tenu du fait qu’à 7 ans c’est déjà elle qui prend tes photos de presse !
Je veux qu’elle fasse ce qui lui plaira, tant qu’elle est heureuse et qu’elle fait quelque chose de positif. Donc il n’y a pas de pression pour suivre mes traces, mais j’aime l’idée de construire quelque chose de spécial sur lequel elle pourra travailler plus tard si elle le veut, plutôt que de travailler pour quelqu’un d’autre ou de repartir à zéro. Elle est à un âge où elle pense encore que je suis cool, donc elle est attirée par les choses qui m’intéressent. Je lui ai acheté un appareil photo pour son dernier anniversaire et elle prend mes photos de presse. Elle est naturelle, je suis très à l’aise quand elle tient l’appareil photo, je peux être moi-même et elle capture ce côté sincère, brut.
Tu as des origines norvégiennes, et je le sais car je t’ai vu lâcher quelques rimes dans cette langue et seulement dans cette langue… Pourquoi tu es plus attiré par la langue norvégienne que par l’anglais pour freestyler ?
Le rap dans ta langue maternelle c’est trop facile et j’ai besoin d’un défi, non je plaisante, c’est parce que je peux m’en sortir avec des rimes merdiques si c’est dans une autre langue, j’ai une excuse !

Tradition chez nous, une petite série de question courte pour des réponses courtes !
Un·e artiste référence
Werner Herzog
Un album
L’album éponyme de Jurassic 5, celui qui m’a initié au hip hop.
La collaboration la plus improbable
Michael Bay
Un film
Lilya 4 Eva & Cinema Paradiso
Un super-héros
Thor
Une bière
Leffe (ruby)
La personne de tes rêves
Je te tiendrai au courant quand je l’aurai trouvé.
Le lieu de tes rêves
La hytte en Norvège
Un chauve
The Rock, quand j’étais gosse j’étais vraiment fan !
Une blague
(intraduisible) Ahhh I’m going to hit you with my mum’s go to joke, it’s awful !… What room can’t you get into? A mushroom. Sorry !
Pour le mot de la fin j’aimerais juste te dire que l’on serait ravis de te voir filmer pour un artiste marseillais. Tu seras le bienvenu chez nous dans le Sud, tu le sais déjà avec l’expérience de Montpellier en 2017 avec Tekilla, Crown, Tupan hehe…
Oui je ne suis jamais allé à Marseille, et j’adorai visiter et filmer là-bas… La France a la plus grosse scène hip hop en dehors des Etats-Unis, et beaucoup de choses ce sont passées ici depuis que le hip hop est né… Donc je devrais filmer ici plus que ce que j’ai fait jusqu’à présent. Si un rappeur lit cette interview et souhaite me contacter qu’il n’hésite pas, envoyez vos sons à cette adresse : sektionred@gmail.com
Merci pour la super interview Air Max !