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« Ce projet est pour ceux qui ont le cœur brisé » PH Trigano en interview

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Après une année où le contact humain a perdu sa gloire d’antan, un artiste et pas des moindres, n’en démordra pas pour redonner ses lettres de noblesse à l’Amour avec un grand A. 
PH Trigano compositeur unique que l’on a récemment pu retrouver sur “Headshot” de Slimka et sur “Parapluie” de Lala &ce,  s’est livré auprès des oreilles de Lastud pour nous raconter sa vision de la musique et  son parcours aussi bien professionnel qu’émotionnel. Il nous parlera de son prochain projet et nous permettra surtout de comprendre un peu mieux à quoi sont dues ces sonorités qui lui sont uniques.

Il parait que tu apprécies davantage de travailler avec des artistes aux influences et sonorités plus cainri ?
J’ai grandi en écoutant des artistes cainri que ce soit du rap, du rock ou de la pop. J’ai moins écouté de musique française, à part Gainsbourg qui est pour moi le plus cainri des chanteurs français. J’écoute des musiques de tous les horizons, mais j’ai l’impression qu’en France les musiques sont moins travaillées.
La musique et le rap français ont le goût du texte pour particularités, par exemple avec des artistes comme Orelsan, mais il y a aussi des thèmes plus légers et plus festifs qui sont abordés, cet été je me suis ambiancé sur « Bande organisée » et je me suis surpris à aimer ça.
Mais en ce moment, j’écoute beaucoup de Don Tolliver, Post Malone, Travis Scott, Gunna, Young Thug, The Weeknd et Drake.
Tu nous as cité de grands noms de la scène RnB actuelle, pourrais-tu nous dire quelles sont tes influences dans le RnB ?
J’écoute beaucoup de RnB des 90’s, comme New Jack Swing et de Teddy Riley plus particulièrement, mais aussi du Jodeci, Sade, Aaliyah et bien sûr George Michael c’est incroyable ! J’ai toute une playlist du RnB que je kiffe, c’est la playlist que tu mets pour faire l’amour à ta femme, si tu mets cette playlist tout va bien se passer !
Pourra-t-on t’entendre sur du RnB plus actuel dans ton prochain projet ?
Le dernier single que j’ai sorti, « Rose noir », est déjà bien plus actuel, c’est du RnB sur de la Trap. Alors que sur « Poésie Humaine » je me suis plus influencé des années 80.
Est-ce que c’est grâce à toutes ces influences justement que tu as pu aider Lala &ce sur « Parapluie » ? Elle qui a du mal à se ranger dans une catégorie ou un genre musical.
Lala est très proche musicalement des cainris, qui eux à partir du moment où ils ont une voix peuvent poser sur tous les genres. Par exemple Drake peut te faire des sons doux comme « Passion Fruit » et raper sur des prods à l’ancienne à 96 bpm et c’est la même chose avec The Weeknd qui peut alterner de la pop à des sons comme « Marvins Room ». Ce sont des artistes versatiles, comme Lala, Ichon, Slimka et moi. Tous les gens avec qui j’aime travailler sont des artistes qui kiffent la musique, ils aiment le rap, comme le disco ou plein de trucs, mais ils feront toujours de la musique avec goût. Le titre de l’album de Lala « Everything Tasteful » résume tout ça, si la musique est faite avec goût ça passera toujours.
Avec des artistes comme Lala &ce, on en arrive aujourd’hui à parler du rap comme d’une musique qui s’inspire de tous les genres, qui pourrait dans le futur ne plus être un genre véritablement nommé, de quel œil vois-tu cette hypothèse ?
Pour moi depuis 2015 le rap et la musique urbaine ont gagné la guerre ! Le rap restera attaché à ses origines, c’est-à-dire les samples de soul ou de disco des années 70 mélangés à des breaks de Drum. Mais c’est dans les années 2000 que le rap a pu gagner en sérieux avec des sons trustés par Dr. DRE et d’autres, et surtout avec la naissance de vrais rappeurs à texte. Plus tard tu as eu des Pharell et Kanye qui ont continué à prôner cette identité rap mais en chantant sur les prods.
En France les racines du rap sont différentes, ici tout le monde a écouté Booba, mais ces codes qui nous rassemblent tous, sont quand même spécifiques à chacun. Aujourd’hui, on appelle rap des morceaux « zumba », mais ça reste du rap ! Car dans le rap au-delà de la musique, il y a une attitude, un flow et un pattern au niveau de la diction qui diffère de la variété et la pop. Un rappeur va dire plus de choses en moins de temps, sur des morceaux de trois minutes trente ou quatre minutes, en variant son flow. Actuellement, ce vers quoi je me dirige en tant qu’artiste, se rapproche plus du rap, car j’ai besoin de dire plus de choses en moins de temps, donc mon débit s’accélère.
Tu as cité Kanye West, un rappeur et producteur très versatile qui ne se met pas de limite comme on a pu le voir avec son dernier album aux influences très gospel. Qu’est-ce qu’il a pu t’apporter musicalement ?
Quand je fais le morceau « Parapluie » de Lala, j’essaie de faire un « Flashing lights », mais à ma sauce. C’est un morceau qui transcende tous les genres, c’est du rap, du disco et de la musique électronique à la fois. Avant que sa mère meurt, Kanye a fait tellement de classiques, il écrivait tellement bien et nous a laissé des sons magnifiques. Ce genre de morceaux crééent un OVNI, une faille temporelle et c’est exactement ce que je cherche à faire comme musique, je veux faire des morceaux qui vont marquer les époques et réussir à survivre. Il y a des morceaux comme « Flashing lights » ou « The Walrus » des Beatles, qui peuvent être considérés comme des masterpieces, des classiques, car ils communiquent énormément d’énergie.

En faisant un petit retour sur ton actualité, on a pu voir que tu as produit une grande majorité des tracks sur le dernier projet de Ichon, pourrais-tu nous raconter votre rencontre ?
J’aimais beaucoup le rap de Asap Rocky, parce qu’il était différent et même parfois bizarre et je ne retrouvais pas ça en France, jusqu’à ce que je rencontre Ichon. Je ne trouvais que du rap engagé ou très marqué par les codes street, mais pas de sons où l’on ressent de la sensibilité et de la fragilité. C’est pour ça que j’ai voulu travailler avec Ichon, on avait une pote en commun, qui nous a mis en contact.
Après « Il suffit de le faire » Ichon recherchait à produire une musique qui correspondait davantage à sa vie et son identité, ce qui l’aurait donc amené à te laisser produire la majorité de « Pour de vrai ». Qu’est ce que vous vous êtes apportés mutuellement ?
Premièrement, humainement on est devenu très proches, on a pu échanger sur beaucoup de sujets et je pense qu’on s’est fait évoluer l’un et l’autre. Un rappeur comme Ichon qui plait à la hype, il se réveille le matin et dans sa boite mail il y a beaucoup de prods, avec une majorité de type beats un peu plat. Mais Ichon il avait besoin de personnes qui savent faire de la musique et pas simplement des type beats qui reprennent de la Trap ou de la Zumba. Il avait besoin de prods composées sur mesure et de pouvoir discuter et faire de la musique en temps réel, pour pouvoir trouver son identité et on a cherché cette identité pendant trois ans. Ichon aimait aussi chanter, mais faisait une majorité de rap, donc je pense qu’il avait aussi besoin de quelqu’un pour lui faire découvrir sa voix.
Pour ma part, il m’a donné confiance en moi, à des moments où je devais entendre certaines choses, ça a été un ami et un frère pendant ces périodes. Son écriture m’a aussi inspiré sur certaines choses, de même que sa vision de la vie et sa liberté. C’est quelqu’un qui est extrêmement libre, combien de rappeurs serait capables de mettre une robe comme il l’a fait dans « Lithanie » !
L’intérêt et l’amour pour les femmes est un sujet qui revient souvent chez Ichon et d’autres artistes avec qui tu as pu collaborer, comme les autres membres de Bon Gamin et Lala &ce, mais aussi dans la majorité de tes sons. Comment pourrais-tu nous expliquer cette fascination ?
J’ai toujours été fasciné par les femmes, parce qu’une femme qui est belle c’est incroyable ! Il y a un désir qui est brûlant quand tu kiffes une meuf et que tu dois aborder toute une stratégie pour lui faire ressentir. Je pense que j’ai besoin d’exprimer ça à travers ma musique, parce que je ressens trop de choses et il me faut un moyen d’extérioriser, je ne peux pas dire à cette fille tout ce que je ressens. Traditionnellement si tu veux parler d’un sujet dans une chanson, c’est soit en abordant un sujet sociétal ou parler de la vie de quartier, mais tu peux aussi faire des sons un peu plus édulcorés et même parler d’amour concrètement. Avec les Bons Gamins, on aime parler d’amour en racontant une histoire, j’aime particulièrement parler d’amour en en faisant un sujet sociétal. Sur le prochain projet, il y aura un track qui s’appellera « Amour digital », qui parlera d’amour à travers les réseaux sociaux. J’ai déjà entretenu des relations par message et je trouve ça fou en y repensant !
L’amour est un sujet vaste et fascinant à la fois, mais surtout personnelle et profondément touchant, au fond la musique c’est que de l’amour, c’est que du love la plupart du temps !
Tu comptes donc continuer à aborder majoritairement ce sujet sur ton prochain projet ?
Mon prochain projet, qui s’appellera « Grand romantisme », parle d’une rupture extrêmement douloureuse et s’aventure dans les mystères de la femme. J’ai beaucoup écouté de podcast sur cette thématique et notamment sur le plaisir féminin et ce qu’implique le désir entre les hommes et les femmes. Je trouve les rapports humains fascinants, au-delà de l’amour charnelle, il y a l’amour que tu partages avec ta famille et l’amour de soi-même, il y a plein de formes d’amour et je me verrais mal parler d’autres chose que d’amour, car c’est mon moteur.
Mon dernier single « Rose noir » parle des femmes fatales, c’est une thématique qui est souvent reprise dans la mythologie, l’histoire et la littérature. Je voulais parler de la femme fatale moderne, « l’influenceuse ». Dans le refrain je dis « Elle en veut sans arrêt, il lui en donne sans cesse (en parlant d’attention). Elle ne fait que compter ses fans, tu donnes et puis tu dégages, mais même les roses les plus noires fanent », c’est quelque chose de très actuel on voit beaucoup plus de filles sur Instagram qui tente de faire de l’oseille en postant des photos en maillot. Je ne les juge pas, c’est bien que la femme se libère et reprenne possession de son corps. Mais je me dis qu’aujourd’hui les rapports humains sont plus compliqués, avant une meuf n’allait pas te recaler à cause de ton nombre d’abonnés Instagram.
De quelle manière as-tu retranscrit tes émotions post-rupture dans « Grand Romantisme » ?
J’étais totalement amoureux de cette fille et après qu’elle m’ait quitté j’étais extrêmement triste, alors j’ai écrit des lettres que je n’aurais jamais envoyé, car je ne pouvais pas lui dire toutes ces choses. Plus le temps passait, plus j’analysais ma rupture et au fur et à mesure j’ai fait de plus en plus de musique sur moi-même et sur l’amour en général. Par exemple, sur le prochain single « Escroc » qui sortira en feat avec Swing, je parle de l’amour à la troisième personne, comme s’il existait physiquement.
L’amour est aussi quelque chose de mystique vu comme un heureux évènement alors que c’est aussi une histoire qu’on se raconte à soi-même, je pense que si j’aimais cette fille c’était surtout parce que j’en était persuadé. Du coup, tout ce projet parle de démystification de l’amour.
Tu as habité à Marseille de tes six à dix ans et tu reviens assez souvent alors que tu habites à Paris. Comment tu perçois la différence en termes de relations humaines entre ces deux villes ?
Ma théorie c’est que le prix du mètre carré change les gens, à Marseille les gens sont donc bien plus détendus. Il y a une ambiance particulière à Marseille et un panorama tellement diversifié que tu n’as pas besoin de beaucoup pour te sentir bien. En plus de ça, les gens sont vraiment libres à Marseille, qui est une ville très ouverte. Alors que les gens qui sont à Paris, y sont dans un but précis et pas pour kiffer, même si culturellement c’est quelque chose. Cet été à la fin du confinement, les gens ont compris que Marseille est une ville incroyable, d’où l’afflux de touristes de toute la France (et surtout de Paris).
Avec Lala &ce on a fait quatre morceaux à Marseille, pour son prochain projet histoire de puiser de l’inspiration dans l’atmosphère de cette ville. Mais ces deux villes m’inspirent différemment. Une chanson comme « Rose noire », n’aurait pas pu être écrite à Marseille, elle parle d’une parisienne qui a soif de reconnaissance, alors qu’à Marseille les gens sont moins portés sur l’image.
Au fil de cette discussion on s’aperçoit que ta musique se forme comme une mosaïque, qui s’est construite d’abord avec ton premier groupe  “Natas Loves You”, puis on a pu te retrouver dans un registre différent avec les Bons Gamins. Comment expliques-tu ton goût pour faire de la musique en communauté ?
Si les gens sont cool lets go ! Il se trouve que j’avais un groupe, parce que c’étaient mes amis d’adolescence et que c’est avec eux que j’ai appris la musique. Mais même si je n’ai pas de vœux concrets d’être en groupe, la musique reste un travail de clique, le collectif réussit à apporter quelque chose à tous ses membres. Chaque personne a des spécialités qui sont mises en commun et qui peuvent te rendre meilleur dans ta propre musique.
Après « Headshot » avec Slimka et tes récentes collaborations avec Lala &ce, on va pouvoir te voir plus souvent avec d’autres artistes. De qui te sens-tu proches dans la scène francophone actuelle et avec qui pourrait-on te voir travailler ?
Je fonctionne d’abord à l’humain, tous les artistes avec qui je collabore, on s’est d’abord rencontré et entendu. Mais sur la scène francophone, il y a trois artistes avec qui j’aimerais collaborer : Damso, Hamza et Laylow. Après je peux collaborer avec pleins d’autres artistes, mais je ne suis pas du genre à envoyer des prods par mail, je préfère rencontrer les artistes réellement.
Pour des artistes confirmés, ils ont déjà des gens avec qu’ils ont l’habitude de travailler, pour placer il vaut mieux miser sur des rappeurs qui sont un peu moins exposés ou faire comme Kosei a fait avec Lafève, c’est-à-dire collaborer majoritairement avec un seul artiste et l’accompagner dans son développement. Grâce à « Kolaf » les gens savent qui il est alors que la plupart des beatmakers ne sont pas crédités, à part les beatmakers-star. C’est en essayant de faire de réelle composition artistique que tu peux arriver à être vraiment reconnu.
Le parcours de compositeur à l’air assez sinueux, pour en éclairer plus d’un, que conseillerais-tu à un beatmaker en herbe ?
Je lui conseillerais de pas écouter ce qu’on lui dit pour rester libre et unique, il faut faire les choses parce que tu kiffes et t’as un truc à dire, il faut faire les choses par passion et par amour. Tu l’entends quand un beat est fait par un passionné. Il faut collaborer, rencontrer des gens et travailler physiquement avec les artistes.
Pour moi le problème générationnel c’est que les nouveaux artistes (rappeur comme beatmaker) ont pour simple objectif de percer, sans vouloir percer pour faire évoluer leur musique, ils veulent juste recevoir des paires de Nike gratuitement ! Avant, tu voulais percer parce que tu véhiculais un message ou tu voulais montrer au grand public tout ton bagage musical, les artistes laissaient mûrir leur musique avant de la proposer publiquement. Aujourd’hui, les jeunes beatmakers font une prod sur leur PC et l’envoient à Damso, sans prendre le temps de progresser.
Il faut considérer la musique comme un don que tu fais aux auditeurs, le but d’un artiste c’est de faire ressentir une émotion à son public et le faire réfléchir sur ses sons. Il faut donner pour recevoir !
Et toi quelles émotions tu veux faire ressentir aux futurs auditeurs de « Grand romantisme » ?
J’étais vraiment déprimé en écrivant ce projet, donc je veux pouvoir aider des gens à tourner plus vite la page sur une relation. Ce projet il est pour ceux qui ont le cœur brisé. Mais, le but c’est aussi que les hommes et les femmes se comprennent et s’entendent mieux.